Il y a une bien-pensance généralisée, une pensée-unique en France, et elle consiste à toujours plaindre les pauvres parce que la vie est difficile pour eux tandis que les riches sont des salauds et des méchants, et qu'en gros c'est leur faute si les pauvres sont pauvres, puisque s'ils étaient moins riches les pauvres seraient moins pauvres. Du coup, la justice, dans ce pays, c'est prendre aux riches pour donner aux pauvres, même qu'il y a des gens qui sont payés pour ça. Au lieu de donner l'argent directement aux pauvres, les cons !

Heureusement, au nord du Bois de Boulogne se cache un héros. Un homme qui a compris que dormir et regarder la télé toute la journée n'avait rien de difficile et qu'être en plus payé pour ça n'avait rien à voir avec la justice. Cet homme, qui c'est ? Je vais vous le dire. Cet homme c'est Robin des Bois de Neuilly. Sa devise ? "Voler aux pauvres pour donner aux riches".

Pour vous, j'ai réalisé une interview exceptionnelle de ce Diogène des temps modernes :

DT : Robin des Bois, dites moi, c'est du déjà vu non ?

RDB : Bien, je vole aux pauvres voyez-vous, et des fois les plus grandes richesses n'ont pas de prix. Avant toute chose donc, j'ai volé aux pauvres un symbole, et non des moindres. Mais les pauvres ne devraient pas le réclamer (décidément c'est à se demander s'ils ne savent faire que ça), car Robin des Bois c'est le symbole de la "droite décomplexée" par excellence. Je n'ai fait que récupérer ce qui nous appartenait par essence, à nous les riches.

DT : Mais, Robin des Bois, n'est-ce pas plutôt le symbole de la liberté des pauvres, du "peuple", face à l'oligarchie étatique ?

RDB : Non. C'est tout le contraire. C'est le signe de leur dépendance totale à l'argent et à ce monde oligarchique qu'ils critiquent dès qu'ils ont éteints la télévision après avoir regardé La Ferme Célébrité, le tout dans un statut Facebook. Et puis il était nationaliste armé non ? Alors que les gauchistes nous le laissent, bordel.

DT : Soit. Vos armes justement, quelles sont-elles ?

RDB : Je dois vous l'avouer, j'ai un sacré réseau. On est un peu comme la bande de Sherwood ouais, on se débrouille bien vous savez, avec toutes les cartes dans nos mains. Mais ces gens, ces arrivistes, ils disent ça comme si c'était facile d'avoir toutes les cartes en mains. Pourtant je peux vous assurer, prenez en un gros paquet, vous verrez, c'est beaucoup plus difficile à distribuer. Et puis après, faut encore savoir jouer avec. Nous on est doué, c'est pas notre faute. Bon après faut dire, quand ça marche pas, on triche, ça aide c'est sûr.

DT : La triche, c'est ça vos armes pour voler aux pauvres ?

RDB : Non évidemment. Ce n'est que du bricolage à côté de l'essentiel. Une grosse machine bien huilée que nous avons confectionnée il y a longtemps et qui fonctionne maintenant toute seule. Appelez cela mondialisation, société de consommation, ou comme vous voulez, quoiqu'il en soit, de cette façon, l'argent part toujours des pauvres pour remonter jusqu'à nous. Voler aux pauvres pour voler aux riches, voilà ma devise, et mon système est infaillible pour arriver à ce but.
Mon plus beau coup, je vous le dit parce que j'en suis fier, c'est d'avoir fait croire à tous ces gauchistes qu'ils n'étaient pas capitalistes. Comme si l'Unef c'était pas pareil que Coca-Cola vous voyez ? Bah ils sont tombés en plein dedans ! Le mieux c'est dans les manifs, avec leurs slogans. Ils te sortent des trucs comme "Le savoir n'est pas une marchandise" et ils se rendent compte de rien. Bien sûr je ne parle pas des vrais bourgeois que nous plaçons à la tête de toutes les grosses organisations "anti-bourgeoises". Des fois, j'ai des scrupules, c'est tellement simple de voler les pauvres, il n'y a même pas de challenge...
J'y pense certains jours vous savez, je devrais peut-être essayer de voler les riches. Pour voir. Mais je crois que cette fois-ci, ce serait pour le donner à personne.

Durant l'été 2000, une affiche publicitaire choquante était placardée dans toutes les grandes villes d'Allemagne : elle montrait une fille au sortir de l'adolescence, en position assise, une télécommande de télévision à la main, qui fixait les spectateurs avec un regard résigné et en même temps provocateur ; sa jupe ne couvrait pas complètement ses jambes légèrement entrouvertes, de sorte que la tâche sombre entre ses cuisses était clairement visible. Cette grand photo était accompagnée des mots "Kauf mich !" ("Achète-moi !"). De quoi cette affiche faisait-elle donc la publicité ? Une observation plus approfondie nous révélait qu'elle n'avait absolument rien à voir avec la sexualité : elle tentait d'encourager les jeunes gens à jouer en bourse et à acheter des actions. Elle fonctionnait donc à deux niveaux, nous donnais d'abord à nous, spectateurs, l'impression d'être incités à acheter la jeune fille (visiblement pour des faveurs sexuelles) avant de délivrer son "véritable" message : elle est ce qui opère l'achat, non celle qui est à vendre. Bien sûr, l'efficacité de l'affiche reposait sur la "méprise" initiale, par la suite surmontée, qui continuait de résonner en nous, alors même que nous avions discerné le "véritable" sens de l'affiche. C'est cela la sexualité dans la psychanalyse : non pas l'ultime point de référence, mais le détour par une méprise initiale qui continue de résonner en nous, même après que nous avons saisi le "véritable" sens asexuel des choses.


Il est courant d'évoquer le "pansexualisme" de Freud et de l'interpréter comme l'idée que "quoi que nous disions ou fassions, nous pensons toujours essentiellement à ça" : la référence à l'acte sexuel serait l'ultime horizon de sens.

Pour autant que l'on accepte de faire du rapport sexuel la référence ultime, il est tentant de réécrire toute l'histoire de la philosophie moderne en ces termes :

- Descartes : "Je baise, donc je suis", autrement dit c'est seulement dans l'activité sexuelle intense que j'expérimente la plénitude de mon être (la réponse "décentrée" de Lacan à cette affirmation aurait été : "Je baise là où je ne suis pas, et je ne suis pas là où je baise", autrement dit ce n'est pas moi qui baise, mais "ça baise" en moi) ;
- Spinoza : à l'intérieur de l'Absolu en tant que Baise (coitus sive natura), il faut distinguer, selon la logique de la distinction entre natura naturans et natura naturata, la pénétration active de l'objet baisé - il y a ceux qui baisent et ceux qui sont baisés.
- Hume introduit ici le doute empiriste : comment savons-nous que la baise comme relation existe ? Nous faisons juste l'expérience d'objets dont les mouvements semblent coordonnés.
- La réponse kantienne à cette crise : "les conditions de possibilité de la baise sont en même temps les conditions de possibilité des objets (de) baise" ;
- Fichte radicalise alors la révolution kantienne : baiser est une activité inconditionnelle autopositionnante qui se divise en baiseur et objet baisé, autrement dit c'est le fait même de baiser qui constitue l'objet, le baisé ;
- Hegel : "il est crucial de concevoir la Baise non seulement comme Substance (la pulsion substantielle qui nous envahit), mais également comme Sujet (comme activité réflexive qui prend place au sein du sens spirituel) ;
- Marx : mieux vaut réellement baiser plutôt que de faire de la philosophie idéaliste masturbatoire, autrement dit, comme il le dit littéralement dans L'Idéologie allemande, la vraie vie, la vie réelle, est à la philosophie ce que le sexe réel est à la masturbation ;
- Nietzsche : la Volonté est, dans sa forme la plus radicale, Volonté de Baiser, qui culmine dans l'Eternel Retour du "j'en veux plus", du sexe se poursuivant éternnellement ;
- Heidegger : de la même manière que l'essence de la technologie n'a rien de "technologique", l'essence de la baise n'a rien à voir avec la baise en tant que simple activité ontique ; ou plutôt, "l'essence de la baise est la baise de l'Essence elle-même", ce qui veut dire que ce n'est pas seulement nous, humains, qui niquons notre compréhension de l'Essence, c'est l'Essence qui est déjà en soi niquée (inconsistante, se retirant, errante) ;
- Et cet aperçu de la manière dont l'essence elle-même est niquée, nous conduit en fin de compte à l'affirmation de Lacan : "il n'y a pas de rapport sexuel".


Slavoj Žižek, Lacrimae Rerum

Publié au CGB l'année dernière




La rentrée imminente me pousse à préparer pour tous nos chers enseignants en philosophie un petit guide de philosophie à l'usage de nos "jeunes". Pour se faire, j'ai pris l'exemple du sage parmi les sages, Socrate, dont j'ai illustré la doctrine à travers les us et coutumes de nos "jeunes". Ce qui donne à peu près ceci :

Socrate est un bon muslim, il veut enseigner l'humilité. Tout comme Allah, il prône un altruisme égoïste. Il pense également que la guerre sainte se déroule au coeur de l'âme de chacun, qu'il faut avoir le "soucis de son âme". Dans sa cité (Athènes), il agissait un peu comme un prophète, distillant la bonne parole, le respect de soi et des autres, aux mécréants qui le mettront à mort pour avoir corrompu la jeunesse (un peu comme on fait des procès à Sniper alors qu'on les kiffe) et pour avoir blasphémé sur leurs faux dieux.

Socrate est aussi un fan de bon son, il n'aime pas les baltringues qui veulent juste se faire du pez avec de la merde commerciale. Il kiffe Rohff mais pas Sinik. Pour lui la musique doit se limiter à produire certaines émotions et en exclure d'autres. Pour aller vite, il veut pas de ballades, c'est pour les pédales, faire pleurer c'est bon pour vendre des albums à des gonzesses mais si tu veux faire de la vraie zik t'as intérêt à montrer que t'as des couilles.

Socrate aime la défonce. Le Jack's, il l'aurait bu par litres. Notamment dans le Banquet écrit par Platon, on voit qu'il se met une bonne race avant d'expliquer aux autres pédés et surtout à la reine des folles de l'époque, Alcibiade, qu'il préfère niquer une bonnasse plutôt que de se faire toucher par un pire gay pareil. Quand une greluche en question dénommée Diotime vient lui expliquer que l'amour c'est deux moitiés qui se retrouvent pour ne faire qu'un, il comprend tout de suite le message (le même que dans le dernier clip de Booba ouais) et part donc mettre sa moitié dans la sienne.

Socrate adore le sport. Pour lui un des éléments essentiels de la culture est la préparation physique, en gros c'est un coach quoi, comme Eric Gerets ou Laurent Blanc. Le physique est tellement important pour lui qu'il dit que "la philosophie est la gymnastique de l'âme". Même que son ballon d'or, Platon (qui est un surnom, genre Ronaldo, et qui veut dire en grec "robuste"), a gagné quelques jeux olympiques de l'époque. Bref, Socrate, il aurait kiffé Benzema.


Voilà, bonne chance à nos gentils profs.

Chant Seizième


Aujourd'hui, aujourd'hui de catafalque !
Voici qu'est venue l'époque du bafouement.
Le battu reçoit un chapeau, le chapeau Roi-Esclave.
L'albatros au large vol.
La corde à la patte, attend près d'un seau d'eau.

On a cousu nos frères dans des peaux d'anes.
On a cousu nos frères dans des peaux de porcs.
On a cousu nos frères dans des peaux de porcs.
Et on nous les a renvoyés pour demeurer avec nous.

Oh étranglement...


Henri Michaux, Epreuves, Exorcismes, Marche sous le tunnel.


Allégeance


     Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?

     Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

     Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.

     Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?


René Char, Fureur et mystère


78 - Au-delà des monts. - Plus que tout autre conte de fées, Blanche-Neige est l'expression parfaite de la nostalgie. La parfaite représentation en est la reine qui voit la neige de sa fenêtre et désire une fille belle comme la beauté inerte et pourtant vivante des flocons, aux cheveux noirs comme le noir de deuil de l'encadrement de sa fenêtre et aux lèvres rouges comme le sang que fait couler la piqûre de l'aiguille ; puis elle meurt en donnant le jour à l'enfant. Même l'heureux dénouement n'efface rien de cette première impression. L'accomplissement du voeu n'est rien d'autre que la mort, et le salut n'est lui-même qu'une illusion. Car une perception plus profonde de la part du lecteur ne lui permet pas de croire que fût effectivement réveillée celle qui semblait dormir dans le cerceuil de verre. Le trognon de pomme empoisonnée que le choc reçu pendant le trajet fait tomber dans son gosier n'est-il pas, plutôt que l'instrument du meurtre, le résidu de sa vie manquée, la trace de son bannissement, et sa guérison ne survient-elle pas juste à l'instant où il n'y a plus de fausses messagères pour la séduire ? De plus, que d'ambiguïté dans le bonheur résumé ainsi : " Alors Blanche-Neige l'aima et le suivit." Quel démenti vient lui infliger la méchante victoire sur la méchanceté. Ainsi, au moment où nous espérons le salut, une voix vient-elle nous dire qu'il est vain d'espérer, c'est pourtant l'espoir, impuissant, qui seul nous permet encore de respirer. Et la plus profonde des méditations et des spéculations ne nous permet guère de faire plus que de retracer les figures ou esquisses toujours nouvelles de l'ambiguïté de la nostalgie. La vérité est inséparable de l'illusion qui nous fait croire qu'un jour pourtant, mine de rien, la salut surgira des figures de l'apparence.


Theodor W. Adorno, Minima Moralia.