Dans "Le prix du progrès", un des fragments concluant La Dialectique de la raison, Adorno et Horkheimer citent l'argumentation de Pierre Flourens, un physiologiste français du XIXème siècle, prenant position contre l'anesthésie médicale au chloroforme : Flourens soutient qu'il peut être prouvé que l'anesthésiant ne fonctionne que sur le réseau neuronal de la mémoire. Bref, alors que nous sommes charcutés à vif sur la table d'opération, nous ressentons pleinement la souffrance dans toute son horreur, mais au réveil, nous ne nous en souvenons plus... Pour Adorno et Horkheimer, il s'agit bien sûr de la métaphore parfaite du destin de la raison basé sur le refoulement de la nature elle-même : son corps, la part de la nature dans le sujet, ressent pleinement la douleur, il n'en reste pas moins que, par le refoulement, le sujet ne s'en souvient pas. C'est en ceci que réside la vengeance parfaite d'une nature que nous avons asservie : inconsciemment, nous sommes victimes de nous-mêmes, nous charcutant vivant...

Slavoj Žižek, La subjectivité à venir.


Si Flourens avait raison dans cette lettre, les voies obscures du gouvernement divin du monde se justifieraient pour une fois. L'animal serait vengé par les souffrances de ses bourreaux : chaque opération serait une vivisection. On nous soupçonnerait de nous comporter envers les autres hommes et envers la créature en général exactement comme nous nous comportons envers nous-mêmes après avoir subi une opération, - d'être aveugles devant la souffrance. Pour la connaissance, l'espace qui nous sépare des autres signifierait la même chose que le temps qui nous sépare de nos souffrances passées : une barrière insurmontable. Mais la domination permanente de la nature, la technique médicale et extra-médicale tirent leur force d'un tel aveuglement : elle ne serait rendue possible que grâce à l'oublie. La perte du souvenir comme condition transcendantale de la science. Toute réification est un oubli.

Theodor Adorno et Max Horkheimer, La Dialectique de la raison.



Ouais, je sais, mettre le texte commenté en deuxième, c'est trop concept.




VISION ! CREATION ! NEWSUUUUUUN !

Pour détendre un peu l'atmosphère, j'ai sélectionné du Neil Young pour vous. Et comme vous savez que j'ai très bon goût, je n'ai même pas besoin de faire de commentaire.



Si les Lumières paraissent si bêtes c'est que les français les ont éteintes au moment même où elles se sont allumées. Remplacées par l'idiote généralisée. Exit tout esprit critique, la si belle démocratie française prétendue "des Lumières" n'est juste que le pire de la démocratie, et n'a rien d'une république.

Prenons ce cas d'actualité, la "crise des ossètes".

La France, censée être l'esprit critique, la grande marginale, que fait-elle ? Elle suit les Etats-Unis. Dejà au Kosovo elle avait fait pareil. Bon, on peut me répondre que ça c'est l'effet Sarkozy. Sarkozy il aime bien les USA, il y fait du jogging avec ses grosses Ray-Ban. Il y est content, "comme un gosse".

Oui mais non. Sarkozy il suit avant tout les Français. Et les Français ils trouvent que les Russes sont méchants, et que les Kosovars ils avaient bien raison de prendre leur indépendance. Après tout c'est ce qu'auraient voulu les Lumières non, que tout le monde soit libre ?
Alors oui, on peut aussi me répondre que c'est pas les Français qui pensent ça, mais les médias. Mais enfin quoi, depuis quand pensent les médias ? Soyons sérieux deux minutes...

Non, un peuple est une cohérence qui fait émerger une pensée "dominante", et la française est incohérente.
La pensée française approuve l'indépendance kosovare mais veut surtout pas qu'on touche à sa Bretagne. Bah non, c'est bien la Bretagne, pour les vacances. Et pour la Corse, la même chose.
La pensée française déteste les Etats-Unis, "ces cons, ahahah, ils sont gros et ils aiment faire la guerre. Et Bush, il est trop con, ahahah. Et leurs films, c'est de la merde commerciale. Nous, on a des beaux films. Et ouais, l'exception culturelle française...Taxi 3" Et pourtant, on suit les Etats-Unis comme des toutous : "Oh oui, ces pauvres Kosovars...". Oui, qui a intérêt à diviser l'Europe ? Qui a intérêt à voir émerger une deuxième Europe musulmane. "Oh encore un qui aime pas les musulmans, c'est mal" Euuuh non...enfin, comme les USA ? "Ah bah non ils sont gentils eux, tu viens de dire qu'ils les aiment bien" Ils veulent une amérique musulmane ? "Non, ils aiment pas les noirs et les musulmans". Incohérence... "Ouais bah en tout cas les Russes sont méchants, ils voulaient déjà pas reconnaître l'indépendance kosovare, maintenant ils attaquent les pauvres Géorgiens" Ah, mais les Géorgiens aussi refusent l'indépendance kosovare, et puis même que là ils veulent pas que les Ossètes déclarent leur indépendance depuis près de 20 ans et que c'est eux qui ont attaqué en premier. Incohérence non ?
La pensée française est totalement incohérente, fruit de l'idéologie de masse. Elle est la mondialisation qui vit sur les restes de tout ce qui la critique.

Enfin bon quoi, ça parait pourtant évident que c'est un jeu entre la Russie et les Etats-Unis là. L'esprit critique a réellement disparu si les Français peuvent subir cette version complètement manipulée des médias sans se dire tout simplement "ce n'est pas vrai". Et encore une incohérence, on nous bassine à longueur de temps avec la Chine et ses droits de l'Homme bafoués, avec sa propagande maléfique. Mais nous ne sommes même pas capable de dire "Non" quand on nous dit qui sont les méchants et qui sont les gentils (et qui plus est, que les rôles sont manifestement échangés...).


Je vois sur la "réacosphère" qu'on conspue unanimement les Lumières. Faut être de gauche pour aimer les Lumières (?). Moi je suis un "nationaliste de gauche", je suis fier du pays de la France des Lumières, de Voltaire, mais aussi de Lacan/Derrida/Bourdieu/Baudrillard, et je me demande, quand la France pensera-t-elle à nouveau ? Quand redeviendra-t-elle le pays des Lumières ?

En attendant, bon morceau qui va bien avec le sujet...

J'ai jamais été très doué pour le long argumentaire. En fait, j'ai toujours cette impression que ce qu'on appelle l'argumentation en opposition à la rhétorique reste elle même de la rhétorique. Je ne sais pas encore si cette impression est fausse, mais ce qui est sûr c'est que j'ai n'ai pas encore réussi à la disqualifier.

Quoi qu'il en soit, une autre chose est certaine : j'aime les aphorismes. En général, ils passent pour le fruit du savant philosophe. Quand on voit un "anonyme" les aligner, on se dit : "ça y est, il s'y croit".
En réalité, pour moi, ils ont surtout cet aspect du travail inachevé, brut, naïf. Des tentatives, des expérimentations de vérité, voire, des erreurs avouées. La présomption de la vérité sous la forme de l'erreur. C'est en ce sens que j'écris ici quelques "fragments" de pensée.
Une manière de se délester de quelques choses qui passent par la tête et qui pour ne pas partir à la poubelle car elles ne restent que des brouillons, deviennent mes coups d'essais. Et j'ai aussi cette autre impression que toutes les idées ne s'expriment pas de la même façon.
Mais principalement : une manière de mettre ces pensées à l'épreuve. Ce blog est un laboratoire et voici donc les expériences que je fais avec mes rats. Au final, ils vont peut-être tous périr. Ou peut-être qu'un deux sera le départ de la plus grande philosophie de tous les temps.

A voir :


1. La droite "décomplexée", c'est celle qui met des talonnettes.

2. Désormais, personne est un jeu de mot.

3. On doit comprendre que nous vivons dans une société du divertissement. Fort bien, mais de quoi sommes nous divertis ?

4. Je veux bien admettre que "le sens de la politique est la liberté". Mais alors, les "politiques" ont vraiment des problèmes d'orientation.

5. C'est quand il a décidé d'utiliser la pensée pour s'en prémunir que l'art est définitivement devenu artifice.

6. "La tradition est oubli des origines" Qu'est-ce que l'oubli de la tradition ?

7. L'Etat qui prétend rendre ses citoyens heureux est l'Etat totalitaire.

8. En plus d'avoir absorbé l'espace public, la société de consommation a aussi pris le contrôle de notre espace privé, mais ceci de manière muette et détournée.

9. J'ai enfin compris le "nouvel art" des artistes contemporains : se faire passer pour des artistes. Je passe depuis mon temps à m'excuser, car, c'est indéniable, ils sont sacrement doués.

10. Nouvelle éthique : Qu'est-ce qui étonne ?

11. Le peuple aime se faire masser (fallait bien une chute...).


Il est un livre qui me passionne. C'est Minima Moralia de Theodor Adorno.
Un jour, un ami (pas un "pote", un véritable ami, d'une amitié d'un temps ancien) qui m'avait déjà fait découvrir cet auteur me présenta ce livre.
Son impact, ma fascination. Feuilleté avec l'excitation d'un gamin qui teste son nouveau jeu vidéo, en oubliant la notice, je l'ai abordé avec le sérieux que j'avais au jeu quand j'étais enfant (en bon disciple nietzschéen), occupé à garder intacte cette tension de la concentration, du corps-à-corps au texte, et de la digression. Une lecture rapide, mais non précipitée.

Dès la dédicace, Adorno précise que l'objet de ces fragments est un domaine qui pour lui a été méprisé et oublié par les philosophes : l'éthique (je simplifie, Adorno parle de "doctrine de la vie juste"). C'est mon avis, ça commence bien. C'est vrai, ils font chier ces "philosophes" analytiques avec leurs conneries. Nous, ce qu'on veut, c'est savoir ce qui est bon.
La passion qui m'anime à chaque lecture de ce livre est aussi forte qu'elle est singulière. Elle est celle d'un homme qui n'a cette impression si forte que lorsque qu'il prend place aux côtés de Machiavel, Nietzsche ou Baudrillard. J'avais sans doute perdu l'habitude d'une pensée si vigoureuse, et à la passion s'ajoute donc la joie des retrouvailles avec une puissance de l'esprit qu'on avait oubliée.

Car oui, je fais partie de ceux qui ont perdus : je suis un "penseur". C'est à dire pour résumer que je suis chiant. "Joie" et "penser" associés ? Quoi, on peut prendre du plaisir à penser ? Tiens, justement, à propos de ça Adorno dit quelque chose, dans le fragment 84 : "Il n'est sans doute rien qui distingue aussi profondément le mode de vie de l'intellectuel de celui du bourgeois que ceci : le premier ne reconnaît pas l'alternative entre le travail et l'amusement". Oui, la "société de consommation" a gagné.

Comme on vient d'en avoir un avant goût, Adorno a fâcheusement tendance à jouer son Nietzsche dans ce livre, en trouvant la bonne formule pour tous les sujets. "Le fond et la forme" comme on dit (je ferais sûrement un article sur quels rares proverbes ne sont pas complétement débiles). Ce qu'il faut ajouter, c'est qu'avant l'heure Theodor décrypte à merveille la "société de consommation" et ce qu'il appelle "l'industrie culturelle". En gros, Adorno, c'est un peu comme Nietzsche et Baudrillard qui ont fusionnés (sans le kamehameha). Plus sérieusement, on y retrouve une esquisse de Simulacres et Simulation de Baudrillard, de l'hyperréalité, des images vides de la consommation, de l'aliénation totale de l'individu. Par exemple la dernière phrase de l'aphorisme 18 : "Il ne peut y avoir de vrai vie dans un monde qui ne l'est pas".

Adorno traite de toutes sortes de sujet avec l'esprit qui me sied : pessimiste mais gai. Un esprit au regard affûté, qui fait que tous les aphorismes qui constituent ce livre sont d'une richesse incroyable. C'est sans doute pourquoi je cite désormais du Adorno à longueur de temps...et que vous y aurez droit si vous trainez encore sur ce blog par la suite...

Voilà, je finis par le commencement, un extrait de la dédicace de Minima Moralia, de Theodor Adorno :

Le triste savoir dont j'offre ici quelques fragments à celui qui est mon ami concerne un domaine qui, il y a maintenant bien longtemps, était reconnu comme le domaine propre de la philosophie ; mais depuis que cette dernière s'est vue transformée en pure et simple méthodologie, il est voué au mépris intellectuel, à l'arbitraire silencieux et, pour finir, à l'oubli : il s'agit de la doctrine de la juste vie (da richtige Leben). Ce qui jadis méritait pour les philosophes de s'appeller la vie est devenu une affaire privée et ne relève plus finalement que de la consommation et, comme tel, tout cela est à la remorque du processus de production matérielle, dépourvue d'autonomie et de substance propre. [...] Ainsi, le regard que nous posons sur la vie s'est mué en une idéologie qui nous trompe en masquant le fait que cette vie n'existe plus.